Ariana, Munich et la propulsion électrique (2)

Munich – juillet 2019 – lors de la visite du centre de formation professionnelle de l’Union des concessionnaires automobiles Bavaroise

L’industrie automobile a clairement montré son cap lors du dernier salon de Francfort en ce dernier mois de septembre. C’était clairement le salon du véhicule électrifié surtout du côté des constructeurs allemands, qui ont affiché leurs derniers modèles de propulsion électrique et hybride et encore leur catalogue dans les prochaines années. Mercedes a déjà inauguré son nouveau label EQ avec 10 nouveaux modèles qui sont attendus dans les deux prochaines années, BMW annonce également 12 modèles à propulsion 100%  électriques sur une totalité de 25 modèles électrifiés d’ici à 2025, Volkswagen le numéro un mondial des ventes annonce de sa part 25 modèles entièrement électriques dans les cinq prochaines années et 300 variantes électriques ou hybrides pour tous les modèles du groupe dans les dix prochaines années, et du côté français le groupe PSA annonce des modèles électrifiés proposés avec chaque nouveau modèle à partir de 2019 et sur toute la gamme à partir de 2025. Il faut rappeler que même avec ces annonces, les constructeurs Allemands se considèrent en retard, les japonais et même les chinois qui ont le plus grand marché des véhicules électrifiés au monde mènent cette révolution sans répit.

Alors où en est notre centre CSFMA Ariana dans toute cette histoire ? Est-il temps de commencer à former nos futurs techniciens en technologie électrique et hybride ? Serait-il mieux de réagir à la sauvette aux besoins immédiats pour une main d’œuvre qualifiée ou plutôt d’anticiper ce qui serait certainement des problématiques futures ?

Dans ce qui suit et par considération de méthode, je vais traiter certaines questions qui peuvent se poser parmi les lecteurs de cet article et parmi les différents intéressés à la formation professionnelle au CSFMA de l’Ariana.

                                                                                   

1. C’est quoi le but de cet article ?

2. Que veut-on dire par « propulsion électrique » des véhicules à moteur ?

3. Faut-il introduire un module concernant la propulsion électrique dans les           programmes de formation ?

4. Qu’en est-il de la dernière visite au centre de formation de Munich ?

 

1. C’est quoi le but de cet article ?

Ce n’est qu’à titre de rappel de dire que le but ultime de l’article précédent et de cet article est de présenter un papier de réflexion à tous et de mener une sensibilisation afin d’introduire un module de formation concernant le thème de la propulsion électrique dans les programmes de formation au CSFMA de l’Ariana, bien entendu dans le cas où le sujet s’avèrerait utile. Rappelons que ces premiers pas nécessitent avant tout et plus que tout une prise de conscience partagée et beaucoup d’encouragements stimulateurs et décisifs des différents intéressés.

 

2. Que veut-on dire par « propulsion électrique » des véhicules à moteur ?

Dans cet article les véhicules dîtes à propulsion électrique sont en fait tout véhicule propulsé en partie ou totalement par une énergie motrice de source électrique. On va considérer 5 types de véhicules légers à propulsion électrique qui sont présents sur le marché mondial et qui commencent à s’introduire sur le marché tunisien.

 

  • Les véhicules hybrides (Hybrid vehicles) :

Ce sont les véhicules hybrides classiques équipés d’un moteur thermique couplé avec un moteur électrique. Ces véhicules n’ont pas de prise de recharge. Les batteries dédiées à la propulsion sont rechargées par un générateur entraîné par le moteur thermique. L’autonomie en mode électrique est la plus faible parmi les véhicules électrifiés, elle est d’une moyenne de 5km avant que le moteur thermique ne prenne la relève pour une nouvelle recharge, elle serait convenable pour une conduite en ville avec un gain considérable en termes de consommation. Son prix est plus cher qu’une voiture thermique normale de même modèle d’environ 15000 Dinars.

 

  • Les véhicules hybride-léger (Mild Hybrid vehicles) :

Ce type de propulsion est de même principe qu’un hybride classique, c’est-à-dire un moteur thermique couplé avec un moteur électrique sans prise de recharge, sauf que le moteur électrique est plus petit et ne fait qu’augmenter la puissance du moteur thermique, donc il n’y a pas de mode de propulsion exclusivement électrique. Le véhicule est équipé d’une batterie plus petite (48V) rechargeable par le moteur thermique. Le prix de ce type de véhicule qui offre un avantage majeur en termes de consommation et d’émissions est de 3000 dinars plus cher que le prix d’un véhicule thermique du même modèle.

 

  • Les véhicules hybrides rechargeables (Plug-in Hybrid vehicles) :

On est toujours dans le même principe d’hybridation entre un moteur thermique et un (ou des) moteurs électriques, sauf que la batterie qui alimente le moteur électrique est rechargeable par le biais d’une borne de recharge extérieure ou d’une prise de courant domestique. Selon la taille de la batterie, ce type de véhicule offre une autonomie en mode électrique d’une moyenne de 50 Km avant que le moteur thermique ne prenne la relève. Le prix est plus cher qu’un véhicule thermique de 25000 Dinars environ, la consommation peut atteindre des records entre 1 et 2 litres par 100 Km.

 

  • Les véhicules 100% électriques (Battery electric vehicles) :

Comme leur nom l’indique, ce type de véhicules est exclusivement propulsé par un moteur électrique alimenté par une batterie rechargeable par le biais des bornes de recharges extérieures ou des prises de courant domestique. Selon la taille de la batterie, l’autonomie de conduite peut atteindre les 600 Km ce qui ferait déclasser la problématique de l’autonomie des véhicules électriques. La technologie est certes plus évoluée mais elle est moins encombrante : pas de systèmes d’alimentation de carburant, pas de réservoir, pas de boite de vitesse pas de système de dépollution et d’échappement, et surtout avec beaucoup moins d’entretien. En fait la probabilité de panne est très inférieure par rapport à la technologie thermique classique. Le prix des batteries peut atteindre les 50% du prix total du véhicule ce qui pourrait expliquer son prix relativement cher, mais le prix de possession dans la durée se retrouve relativement moins cher, sans carburant et presque sans entretien avec une moyenne de 5 dinars d’électricité par 100 Km.

 

  • Les véhicules à hydrogène (Fuel cell vehicles) :

Ce type de véhicules est appelé aussi véhicules avec pile à combustible. L’architecture de propulsion est simple : avec de l’oxygène venant de l’air ambiant et de l’hydrogène stocké dans des réservoirs, la pile à combustible produit de l’électricité à l’issue des réactions chimiques. Le courant issue de la pile à combustible alimente un moteur électrique pour la propulsion qui à son tour entraîne un générateur pour alimenter une batterie secondaire, cette batterie peut alimenter à son tour le moteur électrique en mode exclusif ou en mode combiné avec la pile à combustible selon la charge qui sollicite le moteur. Il faut dire que ce type de véhicule possède la part de marché la plus faible parmi les véhicules à propulsion électrique vu son coût d’achat et de possession supérieur aux restes des véhicules électriques.

 

3. Faut-il introduire un module concernant la propulsion électrique dans les programmes de formation ?

 Oui, c’est indispensable et c’est urgent. Il serait évidemment de bon sens d’anticiper que de subir, et c’est dans cette perspective qu’on aborde le besoin d’intégration d’un module de formation sur le thème de la propulsion électrique. Dans le précédent article sur la visite de Munich j’ai cité quelques arguments qui appuieraient notre besoin d’adhésion et d’adaptation à cette évolution de l’industrie automobile vers la propulsion électrique. Dans ce qui suit on va continuer l’argumentation en donnant quelques chiffres qui tracent la carte de route de ce virement de cap technologique dans le monde. 

Jetons un coup d’œil sur le diagramme suivant (Source : The International Energy Agency):

 

(PHEV : voitures hybrides rechargeables ; BEV : voitures électriques à batterie)

 

Un premier constat sur les cinq dernières années, c’est qu’il ne fait aucun doute sur l’évolution des nombres de voitures électrifiées mises en circulation dans le monde dans les cinq dernières années, en 2018 il y a un peu plus de 5 millions de voitures électrifiées en circulation, 2 millions de nouvelles voitures ont été vendues juste en 2018 avec un taux annuel d’augmentation de 70% environ.

Cette évolution s’explique par des facteurs évolutifs sans récession, on pourrait citer trois facteurs essentiels :

  • La hausse des prix de carburants.
  • Le durcissement des législations sur les émissions nocives des moteurs thermiques.
  • L’évolution technologique qui simplifie l’intégration de la propulsion électrique.

On pourrait ajouter à ces trois facteurs d’autres facteurs qui ne sont de moindre importance :

  • La raréfaction des énergies fossiles notamment le pétrole.
  • La conscience écologique grandissante dans les pays de l’industrie automobile.
  • Les pressions politiques cherchant l’électorat vert et qui se répercutent sur les constructeurs.
  • Le coût faible de possession et d’entretien des véhicules électrifiés.
  • L’abaissement des prix d’acquisition des véhicules électrifiés qui s’explique par l’augmentation de la demande, certainement les subventions qui diffèrent d’un pays à un autre et enfin la maîtrise technologique après les investissements colossaux des constructeurs dans la propulsion électrique.
  • Le confort de conduite, la réduction des nuisances sonores et l’amélioration de la qualité de l’air dans les villes.

Au début de l’article j’ai cité quelques chiffres concernant la réponse proactive de l’industrie automobile qui annonce des dizaines de modèles électrifiés voir une électrification de toute la gamme pour certains constructeurs dans les cinq prochaines années, examinons le diagramme suivant qui nous donne une projection future concernant l’évolution des nombres de voitures électrifiées (Source : The International Energy Agency):

 

(PLDVs : voitures de tourisme légères ; LCVs : voiture utilitaires ; Buses : bus ; trucks : camions)

(BEV : voitures électriques à batteries ; PHEV : voitures hybrides rechargeables)

 

On remarque bien dans ce diagramme la multiplication exponentielle attendue du nombre des véhicules électrifiés, le chiffre sera multiplié par 10 dans les cinq prochaines années, de 5 millions en fin de 2018 jusqu’à 50 millions environ en 2025. Tous les constructeurs sont en urgence d’électrification de leurs modèles sous les pressions des lois d’émission qui sont déjà fixées pour les années à venir, si non les amendes peuvent leur coûter très chers pour chaque gramme de CO2 émis au dessus des normes, pas de choix donc pour les constructeurs soit une hyper-sophistication de la technologie thermique qui va se répercuter sur le prix des véhicules et lâcher donc leurs parts de marché, soit se lancer dans la propulsion électrique moins polluante et de plus en plus rentable que ce soit pour les constructeurs ou les clients surtout avec une augmentation sûre de la demande.

Markus Schaefer, membre du conseil d’administration du groupe Daimler et responsable des recherches pour les voitures Mercedes-Benz déclare qu’il n’y aura plus de nouvelles générations de moteurs à combustion interne vu que tous les efforts du groupe seront focalisés sur la propulsion électrique.

Michael Jost, chef de stratégie chez le groupe Volkswagen déclare que le groupe va offrir son dernier nouveau modèle avec moteur à combustion interne en 2026.

Certains diront certainement qu’il nous faudrait trente ans avant de voir des véhicules électrifiés circuler en Tunisie, sur la route de la Marsa à BSB Toyota, la RAV4 et la Corolla en version hybride viennent de débarquer dans le showroom en déclarant l’entrée officielle de la propulsion électrique sur le marché tunisien.

Ceci dit, les faits sont là et la réalité est désormais derrière les vitrines des showroom tunisiens. L’industrie automobile est en train de changer et ça se passe très vite, la formation professionnelle devrait s’adapter au plus vite.

On termine par un récapitulatif rhétorique du coté de la formation professionnelle et précisément du côté de notre CSFMA Ariana, concrètement pourquoi on devrait s’adapter et qu’est ce qu’on va gagner:

  • Le CSFMA Ariana par son statut de centre pilote dédié à la réparation automobile devrait anticiper tout besoin de demande de qualification, on est tout juste à la fin du temps d’anticipation avant d’entrer dans le temps de l’adaptation hâtive et d’être pointé du doigt.
  • La première intégration d’un module concernant la propulsion électrique va coûter 0 millimes, on pourrait commencer par un module d’initiation théorique d’une durée de 20 heures.
  • Lors d’une visite au centre de formation professionnelle de Munich, et d’après les discussions avec le cadre de formation sur place, on a évalué que le coût matériel d’un atelier de formation de base dédié à la propulsion électrique est moins de 50.000 euros, et le nombre d’heures du module pour une formation pratique de base est de 40 heures.
  • Après l’intégration théorique à titre d’expérimentation et concernant une prochaine intégration pratique, il faut rappeler que le centre CSFMA Ariana a été l’un des centres qui a le plus réussi son projet « Pacte pour l’emploi » avec l’Allemagne, Ceci dit, nos amis Allemands et à travers le cercle officiel des partenaires intermédiaires, seront certainement disposés pour offrir leur aide et leur expertise surtout avec un coût matériel à la portée du financement public Tunisien, le cas échéant.
  • Une adaptation de la formation professionnelle vers toute nouvelle technologie et précisément en ce qui nous concerne la propulsion électrique, va certainement augmenter les chances de l’employabilité de nos jeunes diplômés en étoffant leurs CV pour répondre à toute offre nationale ou de l’ordre de toute coopération internationale.
  • Une intégration de la propulsion électrique dans les programmes de formation aurait certainement un impact stimulatif du côté des apprenants et positif pour l’image du CSFMA de l’Ariana.

 

4. Qu’en est-il de la dernière visite en 2019 au centre de formation à Munich ?

En Août 2018 une visite non officielle de prospection a été effectuée à l’un des plus importants centres de formation professionnelle en Allemagne et par déduction dans le monde, ce centre est dédié à la réparation des véhicules à moteur toute catégorie confondue. Le centre est situé à Munich et géré par l’Union des concessionnaires et des entreprises travaillant dans le secteur après vente automobile dans l’état de La Bavière au sud de l’Allemagne. Un article concernant cette première visite est accessible sur ce lien : Ariana, Munich et la propulsion électrique (1)

Après cette première visite et après les observations et les discussions avec les responsables surplace, le constat est sans équivoque et on pourrait le formuler en 3 points : d’abord c’est clair qu’une course a été lancée et depuis des années de la part des institutions de formation professionnelle dans le monde pour rattraper les évolutions technologiques automobiles en terme de propulsion électrique, en fait  de nombreuses délégations d’Europe et d’Asie ont visité ce centre pour s’inspirer de l’expérience allemande. Deuxième point constaté c’est que nos amis allemands sont plus que disposés pour offrir leur expertise dans ce domaine dans un cadre de coopération adapté, et troisième point c’est qu’une deuxième visite m’est avéré plus qu’utile, et c’est ce qui a été fait l’année suivante en Juillet 2019, cette dernière visite a été très fructueuse et a aidé à voir de plus près ce qui se fait à Munich en matière de formation professionnelle dans la propulsion électrique.

Les ondes positives encourageantes je les ai déjà capté dès que mes pieds ont frôlé l’aéroport de Munich, en fait j’ai eu l’agréable surprise de rencontrer un patriote tunisien expatrié à Munich et qui travaille dans le département juridique de l’union des entreprises bavaroise dans le secteur automobile. Mr.Ferjani a insisté généreusement à venir me chercher à l’aéroport, arrivant à temps et décontracté avec plein d’encouragements et de bonne initiative, il m’est venu l’idée que tout devenait possible avec des tunisiens pleins de bonne volonté, et c’est au nom de mes collègues, de mon administration et de mes chers élèves que je dois lui remercier pour son patriotisme, son rayonnement professionnel et ses efforts à aider toute bonne initiative pour l’intérêt de la Tunisie et de l’amitié tuniso-germanique.

Et voici un bref aperçu sur cette dernière visite. En fait n’ayant que trois jours pour Munich, On n’a pas raté l’après-midi du jour de l’arrivée pour se diriger depuis l’aéroport vers le siège du groupe BMW au nord de Munich, là où ce constructeur mythique possède une usine de montage parmi les seules qui se situent encore en zone urbaine, un tour au musée BMW et du côté de la tour olympique où j’ai essayé d’en haut de comprendre ce qui ferait de Munich, Munich enfin… avant de rentrer le soir à l’hôtel.

 

Photo prise à la fin de la séance matinale de formation sur les contrôles adaptés aux nouvelles normes des émissions des moteurs Diesel

 

Le deuxième jour j’ai assisté à une formation professionnelle dédiée aux garagistes de Munich sur les nouvelles normes d’émission des moteurs Diesel, puis j’ai passé pour saluer le directeur du centre qui m’a reçu l’année dernière et saluer les collègues de Mr. Ferjani dans les locaux de l’union des entreprises allemandes travaillant dans le secteur de l’automobile.

 

Simulateur réaliste d’une motorisation hybride assisté par ordinateur

 

Simulateur sur maquette didactique d’une propulsion hybride

 

Des véhicules électriques et hybrides dédiés à la formation – Munich

 

Le troisième jour encore j’ai été très reconnaissant à Mr. Ferjani et aux responsables de l’union bavaroise des entreprises travaillant dans le secteur automobile pour nous faire disposer d’une voiture afin de faire un tour dans les autres locaux annexes au centre de formation à une dizaine de kilomètres, notamment pour assister aux séances de formation dans les ateliers de la propulsion électrique et les ateliers Diesel que je trouve très similaires à notre atelier 1 au CSFMA Ariana en termes de contenu de formation et d’équipement de diagnostic, enfin l’aménagement était tout de même très munichois.

 

L’atelier de formation en moteurs Diesel – Injection classique et contrôle mécanique des moteurs – Munich

 

L’atelier de formation en moteurs Diesel – espace de diagnostic – Munich

 

Enfin durant ces trois jours centrés sur la propulsion électrique et après observations et discussions, on arrive déjà au constat évident que l’introduction de la formation professionnelle en propulsion électrique en Tunisie est plus qu’indispensable, urgente et surtout elle est tout à fait abordable une fois que les décisions sont prises et les efforts de tous seront convergés et structurés.

S. Ben Khadra, Conseiller d’apprentissage / formateur au CSFMA d’Ariana